Défi Ecrire chaque jour – Jour 3 – Les consignes d’écriture
Ecrire chaque jour Défi Jour 3
Défi difficile : l’écriture quotidienne et ses enjeux
Écrire chaque jour représente un véritable défi, surtout quand on doit jongler avec un emploi du temps déjà bien rempli. En tant que psychologue, mes journées sont souvent chargées, et il peut être difficile de trouver le temps et l’espace mental nécessaires pour me recentrer sur l’écriture.
Cette expérience me confronte aux difficultés que chacun peut rencontrer pour intégrer des rituels à son quotidien, que ce soit pour faire du sport, méditer, ou tenir un journal d’écriture.
Je suis pleinement consciente des bienfaits de ces pratiques. Pourtant, comme beaucoup, je me retrouve souvent rattrapée par les contraintes de la vie quotidienne. Il est aisé de laisser de côté ces moments précieux d’introspection et de créativité face aux impératifs du jour.
Aujourd’hui, je souhaite partager avec vous une consigne d’écriture inspirée par Georges Perec. Son œuvre « Je me souviens » offre un cadre classique et élégant pour explorer les souvenirs.
Je me souviens comme c’était agréable, à l’internat, d’être malade et d’aller à l’infirmerie.
Je me souviens des postes à galène.
Je me souviens quand on revenait des vacances, le ler septembre, et qu’il y avait encore un mois entier sans école.
Je me souviens qu’au pied de la passerelle qui, en haut de la rue du Ranelagh, traversait le chemin de fer de ceinture et permettait d’aller au bois de Boulogne, il y avait une petite construction qui servait d’échoppe à un cordonnier et qui, après la guerre, fut couverte de croix gammées parce que le cordonnier avait été, paraît-il, collaborateur.
Je me souviens qu’un coureur de 400 mètres fut surpris en train de voler dans les vestiaires d’un stade (et que, pour éviter la prison, il fut obligé de s’engager en Indochine).
Je me souviens du jour où le Japon capitula. Je me souviens des scoubidous.
Je me souviens que j’avais commencé une collection de boîtes d’allumettes et de paquets de cigarettes.
Je me souviens des « Dop, Dop, Dop, adoptez le shampoing Dop ». Je me souviens de l’époque où la mode était aux chemises noires.
Je me souviens des autobus à plate-forme : quand on voulait descendre au prochain arrêt, il fallait appuyer sur une sonnette, mais ni trop près de l’arrêt précédent, ni trop près de l’arrêt en question.
Je me souviens que Voltaire est l’anagramme d’ Arouet L(e) J(eune) en écrivant V au lieu de U et I au lieu de J.
Georges Perec, Je me souviens, collection P.O.L., © Hachette, 1978.
D’un autre côté, je vous propose également une approche moins conventionnelle, inspirée par l’exercice « Je ne me souviens pas ». Cette dualité entre souvenir et oubli ouvre une fenêtre fascinante sur notre inconscient et notre façon de construire notre récit personnel.
En explorant « Je me souviens », nous plongeons dans les eaux de la mémoire, revisitant les moments qui ont façonné notre vie. Cet exercice n’est pas seulement un voyage nostalgique ; c’est aussi une opportunité de reconnaître et de célébrer les petites choses, les événements apparemment insignifiants, qui ensemble tissent la trame de notre existence.
Par contraste, « Je ne me souviens pas » nous invite à reconnaître nos lacunes mémorielles. Cet exercice stimule une réflexion sur ce qui a été perdu, oublié, ou peut-être volontairement occulté. C’est une exploration de l’absence, un espace pour se demander ce que l’oubli dit de nous et de nos expériences.
En combinant ces deux approches, nous pouvons créer un équilibre entre lumière et ombre, entre ce qui est dit et ce qui reste non-dit. Cela nous permet d’accéder à une compréhension plus profonde de nous-mêmes et de notre parcours.
Je vous encourage à essayer ces exercices, à la fois comme un moyen de discipline personnelle dans l’écriture quotidienne, et comme une fenêtre ouverte sur l’introspection et la découverte de soi.
Georges Perec et l’exploration de la mémoire
Aujourd’hui, parlons de Georges Perec, une figure centrale de la littérature française du XXe siècle, dont les explorations littéraires ont profondément influencé notre perception de la mémoire et de l’écriture. Perec n’était pas seulement un écrivain de talent, mais aussi un penseur innovant, connu pour son utilisation unique des contraintes linguistiques et narratives.
Sa participation à l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), groupe fondé en 1960 et dédié à l’utilisation de contraintes formelles pour générer de nouvelles œuvres littéraires, a été un aspect clé de sa carrière. L’Oulipo, loin d’être un simple mouvement littéraire, est un collectif expérimental où la littérature est traitée comme un espace de jeu et d’innovation.
L’une des œuvres emblématiques de Perec est « Je me souviens« , une collection de souvenirs, chacun commençant par ces mots. Cette série de fragments autobiographiques constitue une exploration poétique de la mémoire personnelle et collective. À travers cette œuvre, Perec démontre comment les détails apparemment triviaux de la vie quotidienne peuvent être transformés en art.
Perec est également célèbre pour ses autres expérimentations avec la langue, notamment dans son roman « La disparition », un lipogramme écrit sans la lettre ‘e’. Cette contrainte extrême illustre l’ingéniosité et la créativité avec lesquelles Perec a approché l’écriture.
En définitive, Georges Perec nous a légué une vision de la littérature comme un terrain de jeu infini, où les limites et les contraintes ne font qu’accentuer la créativité. Sa capacité à trouver de la beauté et de la signification dans les détails ordinaires de la vie quotidienne continue d’inspirer les écrivains et les participants aux ateliers d’écriture dans le monde entier.
Pourquoi l’Oulipo est-il important dans les ateliers d’écriture ?
L’Oulipo a un impact majeur sur les ateliers d’écriture contemporains. Les techniques et contraintes développées par ce groupe encouragent les écrivains à sortir de leur zone de confort, à explorer de nouvelles façons de raconter des histoires et à voir la langue sous un angle différent.
Dans un atelier d’écriture, utiliser des contraintes oulipiennes peut aider à débloquer la créativité, en forçant l’esprit à trouver des solutions originales et innovantes. Cela peut être particulièrement utile lorsque l’on se sent bloqué ou limité par les conventions habituelles du langage et du récit.
Le mouvement de l »Oulipo nous rappellent que les limites, loin de brider la créativité, peuvent en fait l’inciter à s’envoler vers des sommets insoupçonnés.
Exemples de contraintes oulipiennes
L’Oulipo est célèbre pour ses contraintes créatives, conçues pour stimuler l’imagination des écrivains. Voici quelques exemples :
- La lipogrammatique : Cette contrainte implique d’écrire un texte en omettant volontairement une ou plusieurs lettres de l’alphabet. Par exemple, Georges Perec, un autre membre de l’Oulipo, a écrit un roman entier sans utiliser la lettre ‘e’.
- Le S+7 (ou N+7) : Dans ce jeu, l’écrivain remplace chaque substantif (S) dans un texte par le septième substantif qui le suit dans un dictionnaire. Cela peut transformer des phrases ordinaires en des constructions surprenantes et poétiques.
- La contrainte de la prison : Il s’agit d’écrire un texte où chaque phrase doit contenir, ou ne pas contenir, certaines lettres, ou suivre un certain motif de lettres.
- Le palindrome : Un texte qui se lit de la même manière de l’avant vers l’arrière et de l’arrière vers l’avant.
Ces jeux avec les mots peuvent être très amusants dans un atelier d’écriture, incitant les participants à voir la langue sous un jour nouveau et à explorer des territoires inattendus.
Georges Perec et « Je me souviens »
Georges Perec, dans son poème « Je me souviens », utilise une forme de nostalgie poétique pour capturer des moments du passé. Ce poème illustre la manière dont la mémoire fonctionne par fragments, saisissant des instantanés de la vie passée.
Dans ce poème, Perec évoque des souvenirs personnels, des détails apparemment insignifiants qui, ensemble, forment une mosaïque de son expérience vécue. L’emploi de la première personne crée une intimité entre le poète et le lecteur, invitant ce dernier à s’immerger dans les souvenirs de l’auteur.
« Je me souviens » est un exemple éloquent de la façon dont Perec utilise la langue de manière ludique, tout en abordant des thèmes profonds tels que la mémoire, l’identité et le temps.
C’est une source d’inspiration pour les ateliers d’écriture car il montre comment un sujet simple, comme se souvenir, peut être transformé en une œuvre poétique et significative.
Je me souviens, je ne me souviens pas
« Je me souviens des billes dans la cour d’école, de les perdre toutes, de rentrer les poches vides, le cœur creux, et de regarder mes bijoux conservés, des perles de couleurs que je serrais dans ma main.
Je me souviens de ma toute petite chambre d’enfant et des cris des voisins.
Je me souviens de la farine avec laquelle je jouais quand je faisais des gâteaux, des pommes de terre que je piquais à la cuisine pour fabriquer des personnages au ventre proéminent, des patates dans lesquelles je plantais des bâtons pour leur fabriquer bras et jambes.
Je me souviens des heures passées dans ma chambre à rêver à une vie que je n’avais pas.
Je me souviens de la bulle de musique qui me berçait de sons et de mots.
Je me souviens de ma première bière, bulle d’ivresse, avec mes amis et ce doux flottement dans ma tête.
Je me souviens des promenades en famille, marcher dans les bois et écouter par derrière les adultes parler.
Je me souviens des premiers jours de fac, bain d’indépendance et de promesses.
Je me souviens de ma petite chambre de bonne à Paris, petit couloir de vie.
Je me souviens de ma vie dans un village avec l’homme qui deviendrait mon mari et des petits vieux qui nous appelaient les jeunes.
Je me souviens de l’attente : d’un diplôme, de mon premier enfant, d’un déménagement, de mon premier patient, de l’attente encore et toujours trop longue puisque je ne suis qu’impatience.
Je me souviens…
Je ne me souviens pas avoir perdu la boule, volé un bœuf, un œuf peut-être, comme quoi !
Je ne me souviens pas avoir entendu certains mots dont j’avais besoin et d’autres sont venus que je n’attendais pas.
Je ne me souviens pas avoir jamais renoncé complètement à un rêve.
Je ne me souviens pas de mes premières années sauf quelques jours en maternelle, après je passe en CE1 et à ce dessin de chat un peu minable, les feutres ne marchaient plus. Est-ce cela les souvenirs d’enfance, l’arbre qui cache la forêt ?
Je ne me souviens pas n’avoir pas été timide avant d’être adulte, comme quoi ça passe !
Je ne me souviens pas de lui, d’elle, je sais que j’en ai oublié tout un tas, des copains je n’ai gardé en tête que quelques amis marquants, qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on oublie ? Je voudrais retrouver chaque petit moment de vie et m’en délecter dans les moments de blancs, de solitude, dans les entre-deux de ma vie. Je ne me souviens pas de la nostalgie, mais seulement des pensées douces, pas de la mélancolie, mais des moments doux qui ont fait ce que je suis.
Je me souviens de certaines phrases assassines et je ne me souviens pas de certains compliments.
Je ne me souviens pas avoir pensé que c’était si difficile de ne pas se souvenir. C’est logique tout de même, pas facile d’attraper ce qui n’est plus, ou n’a jamais été.
Je préfère me souvenir et garder au chaud dans mon cœur les petits secrets de mes souvenirs. »
Olivia
Mon expérience d’écriture :
C’était un texte amusant à écrire qui m’a emmenée vers des souvenirs d’enfance. Cependant, mon esprit a retenu certaines choses, sachant que ce texte serait partagé ici.
Cette consigne peut donc mener loin dans l’introspection, à la redécouverte de souvenirs enfouis.
La partie de la consigne « Je ne me souviens pas » est également très porteuse pour évoquer ce dont on a manqué. Là aussi, j’aurais besoin que ce texte ne soit pas partagé pour me laisser aller à l’écriture de sentiments très intimes.
Je vous conseille vivement d’explorer ces deux consignes, qui permettent à la fois de retrouver les souvenirs qui nous fondent et de prendre conscience de nos manques fondamentaux.
L’apport de « Je ne me souviens pas » dans l’écriture
- Contraste et profondeur : En juxtaposant « Je me souviens » et « Je ne me souviens pas », l’écrivant crée un contraste qui enrichit le texte. Cela permet de mettre en lumière non seulement les souvenirs clairs et distincts, mais aussi les vides, les oublis, et les zones floues de la mémoire. Cet aspect reflète la complexité et la non-linéarité de la mémoire humaine.
- Exploration de l’Inconscient : « Je ne me souviens pas » peut servir d’invitation à explorer l’inconscient. Dans la psychologie freudienne, l’oubli est souvent lié aux mécanismes de défense tels que le refoulement. Utiliser cette phrase dans l’écriture peut mener à une introspection sur ce qui est caché ou supprimé dans la mémoire.
- Stimulus créatif : Cette phrase peut servir de déclencheur créatif dans les ateliers d’écriture. Les participants peuvent être invités à réfléchir à ce qu’ils ont oublié ou choisi d’oublier, ouvrant la porte à des récits personnels profonds ou à des explorations fictionnelles.
- Thème de la quête identitaire : « Je ne me souviens pas » peut aussi symboliser la quête de l’identité, une exploration de ce qui a été perdu ou laissé derrière. Cela peut conduire à une réflexion sur la manière dont les souvenirs façonnent ou influencent notre perception de nous-mêmes.
- Lien avec le Surréalisme et l’Oulipo : Cette approche s’aligne bien avec les intérêts des surréalistes et de l’Oulipo pour l’inconscient, le jeu avec le langage, et la subversion des normes littéraires. Elle offre une façon de briser les conventions et d’expérimenter avec les mots et les idées.
Conclusion : L’art de se souvenir et d’oublier
En conclusion, les exercices « Je me souviens » et « Je ne me souviens pas » offrent des approches complémentaires pour explorer notre passé et notre identité. Ils nous permettent de plonger dans les profondeurs de nos expériences et de nos émotions, en mettant en lumière les facettes souvent ignorées ou oubliées de nos vies.
« Je me souviens » est un moyen de célébrer notre histoire personnelle, de reconnaître les petites joies, les leçons apprises, et les moments qui ont laissé une empreinte indélébile sur notre être. C’est une invitation à s’immerger dans le riche tissu de nos vies, en appréciant chaque fil qui a contribué à notre tapisserie unique.
D’un autre côté, « Je ne me souviens pas » nous confronte à l’inconnu de notre propre histoire. C’est une exploration des espaces vides, des silences et des zones d’ombre. Cet exercice nous rappelle que notre mémoire est sélective, façonnée autant par ce que nous choisissons de retenir que par ce que nous laissons s’échapper.
Je vous encourage, chers lecteurs, à expérimenter avec ces deux formes d’écriture. Que vous choisissiez de vous souvenir ou d’explorer l’oubli, chacun de ces exercices peut ouvrir des portes vers une compréhension plus profonde de vous-même et de votre parcours. Ils sont des outils puissants pour le développement personnel et la créativité, offrant un espace pour réfléchir, guérir et grandir.
Alors, prenez un moment aujourd’hui pour écrire votre propre « Je me souviens » ou « Je ne me souviens pas » dans les commentaires ci-dessous ou dans le secret de votre carnet fétiche. Laissez les mots vous guider dans ce voyage intérieur, et découvrez les trésors cachés dans les recoins de votre mémoire et de votre inconscient.
7 commentaires
Lucia
Belle découverte en lisant ton article ! Merci pour le partage de cette méthodologie 😀
CréActiv'Epanouies
Etant plutot habituée aux « je me souviens », au départ, ça m’a dérangé de lire « je ne me souviens pas », et en y réfléchissant, ça permet aussi de mettre de la lumière, sur des choses que l’on aurait oublié volontairement ou non, et finalement j trouve que c’est un très bel exercice! merci!
Olivia
Merci, oui ça apporte une touche un peu différente. Cela permet souvent d’évoquer tout ce que l’on a pas eu, vécu, ressenti, tout ce qu’on ne nous a pas dit… et qui nous a manqué.
le coq lit et compagnie
Wahou! Ton article est très bien détaillé. Je ne connaissais pas cette méthode du « je me souviens » je ne me souviens pas ». J expérimenterai. Je me souviens en cette période d’hiver où les nuits sont rallongées, il est 19h les lumières de cette rue ne fonctionnent pas, la mare sur la droite marque une zone d’ombre. Je cours.
Olivia
Merci de ce partage de votre « Je me souviens » . Bonne session d’écriture 😃
Diane revillard
Bonjour Olivia, merci pour cet article, j’aime beaucoup cette approche « je ne me souviens pas ». En fait, tous les souvenirs sont une aide pour progresser. Je vais travailler sur cette approche du « non souvenir ». Diane
Olivia
Bonjour Diane, je suis ravie que vous tentiez cet aventure avec cette consigne particulière. Bonne session d’écriture.