page blanche
Créativité,  Ecriture créative

La page blanche n’existe pas : une lecture psychologique du vide

Si vous avez aimé l'article, n'hésitez pas à le partager.

“Je n’arrive pas à écrire.”
“Je me retrouve face à la page, et rien ne vient.”
“Je bloque.”

Ces phrases, tu les as peut-être déjà prononcées. Tes patients, tes élèves, tes amis les ont sûrement dites. Mais qu’est-ce que cette fameuse page blanche ? Pourquoi provoque-t-elle autant d’angoisse ? Et surtout, comment pouvons-nous l’approcher autrement que comme un échec ou une paralysie ?

Cet article propose de regarder la page blanche non comme une ennemie, mais comme un espace psychique révélateur, un miroir, parfois un abîme, souvent un seuil. En nous appuyant sur une lecture clinique et symbolique, nous explorerons ce que ce “rien” contient, et comment l’écriture peut redevenir possible — non pas contre la page blanche, mais avec elle.

Une illusion de vide : la page blanche est pleine

Derrière l’expression « page blanche », il y a une croyance : celle que rien ne vient, que tout manque. Mais en réalité, la page est rarement vide. Elle est souvent saturée, envahie d’attentes, de jugements, de peurs, de normes. Elle est peuplée.

Avant même d’écrire, on se dit déjà :

  • « Ce que je vais écrire n’aura aucun intérêt. »
  • « Ce n’est pas assez profond. »
  • « D’autres l’ont mieux dit que moi. »
  • « Je vais toucher quelque chose que je ne veux pas voir. »
Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu  Procrastination et écriture : pourquoi repoussons-nous ce qui nous fait du bien ?

Autrement dit, la page blanche n’est pas un manque d’inspiration : c’est souvent un trop-plein d’auto-censure.

Dans une perspective psychanalytique, on pourrait dire que la page blanche est l’expression d’un conflit entre le désir d’écrire et les interdits (internes) qui l’entravent. C’est le lieu d’une tension, parfois d’une lutte.

Le surmoi à l’œuvre : écrire sous surveillance

Dans bien des cas, la page blanche est le symptôme d’un surmoi tyrannique. On ne peut pas écrire, parce qu’on se surveille, on s’évalue, on se juge avant même de formuler une phrase. Il n’y a plus de place pour le jeu, pour l’exploration, pour l’inachevé.

Ce surmoi peut prendre plusieurs visages :

  • Le parent critique : « Tu ne fais pas d’effort. »
  • Le professeur intérieur : « Ce n’est pas académique. »
  • L’idéal inaccessible : « Tu n’arriveras jamais à écrire comme… »

Quand l’écriture est vécue comme une performance, le corps et l’âme se figent. Il ne reste que l’inhibition.

Ce que la page blanche révèle alors, ce n’est pas un manque de contenu, mais un empêchement à se laisser aller.

Une mémoire bloquée : et si ce silence était un symptôme ?

Chez certaines personnes, notamment celles qui ont vécu des expériences traumatiques ou des ruptures précoces du lien, la page blanche peut aussi signaler un trouble de la représentation : ce que la psychanalyste Cathy Caruth appelle une mémoire non symbolisée.


Écrire, dans ces cas, c’est approcher une zone de silence psychique, un vide qui protège, un trou dans la continuité du récit de soi.

On ne peut pas écrire parce qu’on n’a pas les mots — ou parce que les mots menacent de faire ressurgir un effroi indicible.

Le silence, dans ce contexte, n’est pas un échec : il est une stratégie de survie psychique. Il faut alors l’accueillir avec infiniment de douceur, sans pression de produire, sans forcer un récit qui n’est pas encore prêt à advenir.

La page blanche comme seuil : l’avant du texte

Il y a aussi une autre manière de regarder cette expérience : et si la page blanche était un passage ?

Dans toutes les écritures profondes, il y a un moment de bascule, un instant suspendu où rien n’est encore là, mais tout se prépare. Ce silence avant les mots peut être vu comme :

  • un sas entre l’intérieur et l’extérieur,
  • un espace de germination,
  • une écoute du flux intérieur,
  • une attention portée au langage qui vient, doucement.

Dans une séance d’écriture thérapeutique, je propose parfois de rester un moment face à la page sans rien écrire. Non pas pour attendre que l’idée vienne, mais pour sentir ce qui est là avant le mot. Cette respiration, cette suspension, est une manière d’entrer en relation avec soi.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu  Écrire sur un trauma : entre autobiographie, autofiction et témoignage

Écrire avec la page blanche : propositions douces

Plutôt que de lutter contre elle, on peut faire avec. Voici quelques pistes concrètes, inspirées de la thérapie par l’écriture, pour traverser la page blanche sans se perdre.

Écrire sur la page blanche

Commencer par la nommer :

  • « Je ne sais pas quoi écrire. »
  • « J’ai peur de ce que je pourrais écrire. »
  • « Il y a trop de silence en moi. »

Écrire sur l’impossibilité d’écrire, c’est déjà entrer dans l’écriture.

Écrire des phrases inachevées

Par exemple :

  • Aujourd’hui, je ne trouve pas les mots parce que…
  • J’aimerais écrire sur…, mais…
  • Il y a quelque chose qui me retient, c’est…

Laisser des phrases ouvertes permet à l’inconscient de continuer le travail sans pression.

Utiliser le corps comme point de départ

Le corps n’est jamais en panne d’écriture. Il sent, il se souvient, il appelle.

Tu peux commencer par :

  • « Mon ventre est tendu comme si… »
  • « Mes mains aimeraient écrire… »
  • « Il y a un frisson dans ma nuque qui me parle de… »

Cette écriture corporelle remet en lien avec le présent.

Accepter le fragment

Si le texte complet semble impossible, écrire un mot, une image, une phrase isolée. Cela suffit.
Il n’y a pas d’obligation à la narration, à la construction. Le fragment est un début.

Laisser parler un autre

Parfois, changer de pronom débloque l’écriture. Écris à la deuxième personne :

  • « Tu n’arrives pas à écrire ce matin. Tu regardes la page, et déjà, tu doutes… »

Ou imagine qu’un personnage prend ta place.

Ce décalage crée une respiration.

Les techniques des écrivains : apprivoiser la page blanche par la pratique

La page blanche n’épargne pas les écrivains professionnels. Mais certains ont développé des rituels ou des techniques pour la contourner, l’amadouer, ou la désamorcer avant qu’elle ne s’installe.

Voici quelques approches concrètes utilisées par des auteurs célèbres — et que tu peux adapter à ton propre rythme d’écriture :

✒️ Ernest Hemingway : s’arrêter au bon moment

Hemingway conseillait de ne jamais finir une scène ou une idée en une seule session. Il s’arrêtait volontairement au moment où il savait ce qui allait suivre, laissant un élan inachevé. Ainsi, le lendemain, il n’était pas paralysé par le vide, mais tiré vers l’avant par la suite évidente à écrire.

👉 Essaie : arrête-toi avant d’avoir tout dit, et laisse-toi un crochet pour le jour suivant.

✒️ Graham Greene : écrire un quota journalier

Greene s’imposait une règle simple : 500 mots par jour, pas plus. Il ne cherchait pas l’inspiration, mais la régularité. Cela évitait l’angoisse du “grand jour d’écriture” trop attendu, trop chargé en enjeu.

👉 Essaie : choisis un nombre de mots très accessible (100, 300, 500), et tiens cette promesse avec douceur, comme une hygiène mentale.

✒️ Haruki Murakami : écrire le matin, toujours

Murakami se lève à 4h, court 10 km, puis écrit. Sans exception. Pour lui, le corps et l’esprit ont besoin de discipline, car l’inspiration vient dans la répétition. L’écriture n’est pas un miracle, mais une conséquence.

👉 Essaie : choisis ton moment d’écriture, toujours le même (au réveil, en fin de journée, à midi…), et protège-le comme un rendez-vous intime.

✒️ Virginia Woolf : se mettre en condition sensorielle

Woolf attachait une grande importance à l’espace, à la lumière, au carnet, à la sonorité de la langue. Elle laissait son écriture naître d’une atmosphère, pas d’un objectif.

👉 Essaie : crée un environnement propice, sans distraction, avec une musique douce ou une lumière tamisée. Change de lieu si besoin. Laisse venir les mots par le corps.

✒️ Ray Bradbury : commencer par un mot

Bradbury remplissait des carnets de listes de mots. Il en choisissait un et écrivait une histoire autour. Il ne cherchait pas à avoir un plan — il suivait l’élan que créait un mot déclencheur.

👉 Essaie : choisis un mot au hasard dans un livre, un dictionnaire ou un souvenir. Lance-toi sans réfléchir à ce que ce mot pourrait ouvrir.

Ces techniques ne sont pas magiques. Mais elles ont un point commun : elles font de l’écriture un acte quotidien, modeste, incarné. Pas un sommet à gravir, mais un chemin à fouler, pas à pas.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu  Comment écrire votre autobiographie : Guide pratique pour un voyage thérapeutique et personnel

La page blanche comme miroir de notre rapport à la création

Plus largement, la page blanche interroge notre rapport à la création, à la liberté, au vide, à l’inconnu.
Elle nous confronte à ce que nous attendons de l’écriture : un résultat, une vérité, une reconnaissance ?

Mais l’écriture — surtout quand elle est thérapeutique — n’a pas à produire du “bon”. Elle peut tâtonner, balbutier, déraper.

Et parfois, ne rien écrire pendant un temps, c’est aussi écrire autrement : dans l’écoute, dans la présence, dans la lenteur.


En conclusion : ne pas remplir, mais accueillir

Écrire n’est pas un geste productif. C’est un acte de présence.

La page blanche ne demande pas à être remplie. Elle appelle à être habitée.

Elle nous met à l’épreuve : de notre patience, de notre confiance, de notre capacité à laisser advenir ce qui est là, même si cela prend du temps, même si cela ne ressemble à rien d’abord.

Alors, si tu rencontres la page blanche, ne cherche pas à la fuir ou à la vaincre.
Assieds-toi à côté d’elle.
Demande-lui ce qu’elle garde.
Écoute-la.

Il se pourrait bien que l’écriture commence ici.

💌 Et si tu écrivais avec nous cette semaine ?

La page blanche peut faire peur, mais elle devient plus douce quand on n’est pas seul·e face à elle.

Chaque semaine dans le Club Psycho-Plume, je t’envoie sept consignes d’écritures pour t’aider à retrouver le fil.
Un mot, une question, une image pour ouvrir un espace.
Tu peux répondre dans ton carnet, publier ton texte dans la communauté, ou simplement laisser les mots venir à ton rythme.
Et si tu le souhaites, tu recevras un retour bienveillant et profond sur ce que tu écris.

📬 Rejoins-nous ici pour recevoir la prochaine consigne :
👉 Je rejoins le club Psycho-Plume

Parce que parfois, il suffit d’un petit élan pour que la page se remplisse.


En savoir plus sur Psycho-Plume

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Psychologue et écrivain, je partage dans mon site des articles sur l'écriture thérapeutique.

2 commentaires

  • Daf

    Bonjour. Je n’écris pas, mais l’article est parlant, si je puis dire. Je dessine, c’est mon métier. Et le syndrome de la page blanche est aussi présent dans ma pratique. Pour ma part, je l’accueil avec plaisir. Et je mets un point d’honneur à salir cette feuille. Peu importe si ce que j’y dessine est beau ou pas. C’est, selon moi, l’acte créatif qui est beau. Et comme on dit: « Mieux vaut fait que parfait ».

  • Rémi

    Tu décris parfaitement ce moment figé face à la page blanche. J’ai adoré ta phrase : « la volonté tellement grande de faire une œuvre parfaite ». Elle touche juste, car on se reconnaît tous dedans. Merci pour ton regard bienveillant et motivant. Tu libères la plume avec douceur et clarté 🙂

Laisser un commentaire