Souvenirs d'enfance oubliés
L'écriture thérapeutique,  Psychologie

Quand l’enfance s’efface : écrire pour retrouver les contours de soi

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Comprendre le vide mémoriel et l’approcher avec l’écriture

Ce que je ne me souviens pas

“Je n’ai aucun souvenir de mon enfance.”
“J’ai l’impression d’avoir tout oublié.”
“C’est comme un brouillard, ou un mur.”

Tu as peut-être déjà pensé cela, ou entendu quelqu’un le dire. Et ce n’est pas qu’une façon de parler. Pour certaines personnes, la mémoire de l’enfance est lacunaire, absente, ou inatteignable. Pas de scènes nettes, pas de visages, parfois même pas d’émotions rattachées. Juste un vide. Un silence.

Ce vide peut être source d’inquiétude. Il peut être vécu comme un handicap intérieur : comment se connaître, se comprendre, s’ancrer, si l’on ne sait pas d’où l’on vient ?
Mais ce n’est pas une fatalité. Il ne s’agit pas de forcer le souvenir à revenir. Il s’agit d’approcher autrement cette part floue de soi. Et l’écriture peut en être la porte d’entrée.


Pourquoi certaines personnes oublient leur enfance ?

Il n’y a pas une seule explication, mais plusieurs facteurs qui peuvent contribuer à cette amnésie partielle :

Une enfance trop douloureuse

Quand certaines scènes sont trop chargées émotionnellement (violence, abandon, instabilité), l’esprit peut les mettre à distance pour se protéger. C’est un mécanisme de survie. Ce n’est pas un oubli au sens classique, c’est un refoulement, une dissociation. L’enfant a vécu, mais n’a pas pu enregistrer.

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Une enfance trop vide

Paradoxalement, ce ne sont pas toujours les événements violents qui créent l’oubli. Une enfance peu parlante, sans moments marquants peut aussi laisser très peu de traces. Quand rien ne fait émotion, rien ne s’inscrit.

Une mémoire non symbolisée

Certains souvenirs sont bien là, mais ils n’ont pas été mis en mots. Ils existent sous forme d’images floues, de ressentis corporels, de rêves. On n’en a pas conscience, mais ils agissent.

Des troubles du lien ou du regard

Il arrive aussi que les souvenirs soient absents parce que l’enfant n’a pas été regardé, reconnu, nommé dans ses émotions. Ce sont souvent des enfants “sages”, “adaptés”, qui n’ont pas laissé de traces en eux-mêmes.

Ce que l’oubli ne dit pas

Avoir oublié son enfance ne veut pas dire :

  • Qu’il ne s’est rien passé
  • Que l’on est incapable de se souvenir
  • Qu’on est “froid” ou “détaché”

Cela signifie souvent que le récit n’a pas pu se construire. Ce n’est pas l’événement qui manque, c’est le langage autour de l’événement. Le souvenir n’est pas logé dans une scène, mais dans un vide sans mots. Ce n’est pas l’absence de mémoire, c’est l’absence de forme.

Et cette forme, justement, peut naître de l’écriture.

Pourquoi écrire quand on ne se souvient pas ?

Tu pourrais penser : “je n’ai rien à écrire, puisque je ne me souviens pas.”
Mais justement : ce vide est un lieu d’écriture.

Écrire permet :

  • D’écouter les bribes, les sensations, sans les juger
  • D’inventer des hypothèses intérieures
  • De retrouver des formes symboliques là où il n’y a pas de faits
  • D’apprendre à se re-raconter à partir de ce que l’on ressent, et non de ce que l’on sait

Tu n’as pas besoin de “te souvenir” pour écrire. Tu peux écrire depuis l’absence, depuis le flou, depuis l’émotion sans racine.

Ce que l’écriture active dans ces cas-là

L’écriture ne réveille pas forcément la mémoire comme une madeleine de Proust. Ce qu’elle active, c’est le processus de subjectivation. C’est-à-dire : je me relie à mon propre vécu, même sans preuve, même sans images.

Voici ce que l’écriture peut permettre :

  • Nommer le silence : “Je ne me souviens pas. Je cherche. Je n’ai que des contours.”
  • Reconnaître l’émotion actuelle : “Ce vide me rend triste, ou curieusement calme.”
  • Créer une scène hypothétique : “Et si c’était un jardin ? Et si j’avais eu peur ?”
  • Faire exister une mémoire symbolique : une mémoire poétique, imaginaire, mais profondément vraie

L’écriture ne cherche pas la vérité factuelle. Elle cherche la vérité affective.

Exemples de formes d’écriture adaptées à l’oubli

Certaines formes littéraires sont particulièrement fécondes dans ce contexte :

✍️ Les fragments

Tu peux écrire des mots isolés, des images, des sensations, sans chercher à les relier. C’est déjà un tissage.

✍️ Les listes

Faire une liste de ce que tu aurais pu vivre : “Une odeur”, “Un cri”, “Une main”, “Un matin gris”.

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✍️ La lettre à l’enfant que tu étais

Même si tu ne te souviens pas de lui/elle, tu peux lui écrire. Lui parler. L’accueillir.

✍️ L’écriture fictive à la première personne

Invente une scène de ton enfance, même imaginaire. Tu verras que des émotions surgissent.

✍️ Les dialogues avec l’oubli

“Je parle à mon trou de mémoire”, “Je demande au silence pourquoi il ne me répond pas”.

Témoignages symboliques : ce que disent ceux qui oublient

Voici quelques extraits anonymisés (inspirés de participantes) qui pourraient illustrer le vécu du vide mémoriel :

“Je me souviens des murs, mais pas de ce qui se passait à l’intérieur.”
“C’est comme si mon enfance appartenait à quelqu’un d’autre.”
“J’ai longtemps cru que c’était normal de ne rien ressentir.”
“C’est en écrivant que j’ai commencé à sentir. Et en sentant, des mots sont venus.”
“Je crois que mon corps se souvenait, mais moi je ne voulais pas l’entendre.”

Quand l’oubli est une défense

Tu dois savoir qu’écrire peut réveiller des zones sensibles. Si l’oubli est une protection, il ne faut pas forcer. Il faut avancer doucement, avec bienveillance. L’écriture thérapeutique ne cherche pas à briser les défenses, mais à dialoguer avec elles.

Certains jours, tu écriras. D’autres, tu n’y arriveras pas. C’est normal. L’essentiel est l’élan, pas la performance. Le texte est un support, pas une injonction.

Que faire de ce que l’on écrit ?

  • Relis ton texte quelques jours plus tard : tu y verras peut-être surgir quelque chose de nouveau.
  • Ne cherche pas la beauté. Cherche la justesse émotionnelle.
  • Ne partage ton texte qu’avec une personne de confiance, ou dans un cadre sécurisant.
  • Ne t’oblige pas à finir. L’écriture thérapeutique est un processus, pas un résultat.

Ce que la psychologie nous dit de l’oubli de l’enfance

Quand on parle d’oubli de l’enfance, il ne s’agit pas d’un trou accidentel. Ce n’est pas un oubli volontaire, ni une faute de mémoire banale. C’est souvent une forme de protection intérieure, une stratégie psychique profonde pour survivre à ce qui, sur le moment, aurait été trop douloureux à vivre consciemment.

🔹 L’enfant n’a pas les mots

Les enfants vivent avant de comprendre. Un enfant peut être triste, terrifié ou désorienté sans avoir les mots pour le dire. Si personne ne lui nomme ce qu’il vit, l’expérience reste brute, comme une sensation sans nom. Or, ce qui n’est pas mis en mots ne s’inscrit pas dans la mémoire “narrative”. Il reste quelque part — mais flou, inaccessible.

🔹 Le cerveau trie

Dans certaines situations de stress, le cerveau “coupe” certains circuits. Ce n’est pas une panne : c’est un tri d’urgence. Il priorise la survie sur l’intégration. Cela signifie que la scène a bien été vécue, mais elle ne s’est pas “rangée” au bon endroit pour être racontée plus tard. On parle parfois de mémoire “corporelle” ou “émotionnelle”.

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🔹 L’oubli comme mur intérieur

Enfin, il y a les défenses inconscientes. Quand un souvenir est trop difficile à intégrer (par exemple une trahison, une violence, ou un vide affectif trop grand), le psychisme peut l’enfermer, comme pour préserver la personne. Ce n’est pas un choix volontaire, mais une opération de sauvegarde intérieure. On vit, mais séparé de ce vécu.

👉 L’oubli est donc souvent un geste protecteur, pas un échec.
Et l’écriture — douce, progressive, libre — peut parfois devenir le chemin du retour vers soi, sans briser cette protection.


Imaginer, c’est aussi se souvenir autrement

Un jour, une patiente m’a dit :

« Je crois que j’invente mes souvenirs. Mais je les ressens comme vrais. Est-ce que ça compte ? »

Cette question est précieuse. Elle touche à quelque chose de fondamental dans l’écriture thérapeutique : l’imaginaire n’est pas l’ennemi du vrai. Il en est une forme possible.

Quand tu écris un souvenir inventé — une scène plausible, une image qui vient sans certitude — tu ne mens pas. Tu élabores. Tu symbolises. Tu offres à ton psychisme une forme qui lui permet de digérer ce qui était resté brut.

L’imaginaire, ce n’est pas fuir la réalité.
C’est parfois la seule manière d’y revenir, sans être submergé·e.

En écriture thérapeutique, ce que tu écris ne doit pas forcément être “vrai” au sens historique. Il doit être juste au sens émotionnel. Si un texte inventé t’apaise, te relie, t’aide à poser une frontière ou à ouvrir une brèche, alors il a fait son travail. Même s’il ne correspond à aucun fait objectif.

Tu peux imaginer une maison d’enfance, même si elle n’a jamais existé.
Tu peux inventer un regard, une main, un mot.
Ce que tu reconstruis, ce n’est pas un souvenir : c’est ta place dans l’histoire.

💬 En résumé

  • Oublier son enfance n’est pas une faute. C’est un langage.
  • Ce qui n’a pas pu être nommé peut aujourd’hui être écrit.
  • L’écriture n’est pas un outil de récupération, mais de transformation.
  • Ce que tu inventes n’est pas faux : c’est une trace de toi, modelée à ta mesure.
  • Tu peux écrire pour approcher le flou, reconnaître l’absence, tisser du lien.

Conclusion : Tu es plus que ta mémoire

Ce que tu ne te rappelles pas ne définit pas ce que tu es. L’oubli n’est pas un échec. C’est une manière qu’a eu ton psychisme de survivre, de te protéger, de continuer.

Mais aujourd’hui, tu peux choisir une autre voie. Non pas retrouver les souvenirs — mais inventer une manière de les habiter autrement. Tu peux écrire depuis le vide, depuis le silence, depuis la sensation diffuse que quelque chose manque. Et c’est déjà une présence.

Tu n’as pas besoin de savoir. Tu as juste besoin d’un stylo.

Et peut-être qu’un jour, entre deux phrases, un souvenir viendra.
Ou pas.
Mais toi, tu seras là.

Et ce sera suffisant.

💌 Tu as oublié ton enfance, mais pas ton besoin d’écrire

Si tu sens que certains souvenirs restent inaccessibles,
si tu ressens une forme de vide, de flou, de silence en toi,
et si tu as envie d’écrire malgré cela — ou peut-être à cause de cela —
alors le Club Psycho-Plume pourrait t’accompagner.

Dans ce Club, tu trouve chaque semaine des invitations à écrire, simples mais profondes.
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🌿 Le Club, ce n’est pas un exercice.
C’est un espace pour laisser quelque chose s’écrire — sans pression, sans injonction, mais avec conscience.

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Parfois, ce que tu ne peux pas dire peut commencer à exister dans un mot.
Et ce mot, tu n’as pas à le porter seule.


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Psychologue et écrivain, je partage dans mon site des articles sur l'écriture thérapeutique.

7 commentaires

  • Béa🌷

    Merci Olivia pour cet article tout en finesse. Il m’a profondément touchée. L’écriture de l’enfance, c’est comme ouvrir une porte sur des émotions enfouies, parfois oubliées, mais qui continuent à façonner qui l’on est. En te lisant, j’ai repensé à certains souvenirs auquels je n’avais pas pensé depuis longtemps. C’est précieux d’oser ce voyage intérieur à travers les mots. Merci pour cette belle invitation à se reconnecter à soi.

  • Laura

    Merci Olivia pour cet article. Une question me vient suite à sa lecture – si nous avons fait une amnésie traumatique suite à une période douloureuse à vivre, mais que tout nous est revenu en mémoire, est-il judicieux d’écrire sur les souvenirs qui nous reviennent ? Si nous avons eu cette amnésie, c’était pour nous protéger étant enfant, alors je me demande si c’est utile ou au contraire à éviter, d’écrire sur cette période ? Merci 🙂

    • Olivia

      Merci pour cette question précieuse.

      Tu touches là un point très fin : ce moment où une mémoire traumatique revient en surface, parfois avec force, parfois fragmentée, et où l’on se demande s’il faut l’écrire… ou s’en protéger.

      Tu as raison : l’amnésie est une protection. L’oubli a, un temps, permis de survivre.
      Mais quand les souvenirs refont surface, c’est souvent que quelque chose en nous est prêt à les approcher autrement — pas toujours à les affronter frontalement, mais à les symboliser, à les mettre à distance par le langage.

      Alors faut-il écrire ?
      Oui, si tu le fais avec douceur.
      Oui, si tu sens que tu peux écrire non pour revivre, mais pour transformer.
      Oui, si tu peux écrire à ton rythme, sans te forcer à tout dire, sans vouloir reconstituer chaque détail.

      Parfois, ce n’est pas la scène qu’il faut écrire, mais l’émotion qu’elle laisse.
      Parfois, on peut écrire autour. Par fragments. En image. En fiction.
      Ce n’est pas trahir la vérité : c’est prendre soin de soi.

      Et parfois, il vaut mieux ne pas écrire seul·e.
      Certaines périodes ont besoin d’un contenant — une présence bienveillante, une personne ressource, un cadre sécurisant.

      L’écriture n’est pas là pour briser les défenses, mais pour les écouter.
      Et si tu sens que le texte devient trop lourd, trop confus, ou trop envahissant, alors il est aussi juste de t’arrêter.

      Merci encore pour cette question, qui est en elle-même un très beau point de départ pour écrire.

  • Sylvie

    Article passionnant! Tellement de pistes à explorer! Je serais intéressée pour en apprendre davantage sur la mémoire non symbolisée et les troubles du lien ou du regard.

    • Olivia

      Merci beaucoup pour ton retour 🙏
      Oui, ces deux notions — la mémoire non symbolisée et les troubles du lien ou du regard — mériteraient chacune un article à part entière.

      La mémoire non symbolisée, c’est cette mémoire qui n’a pas pu prendre forme dans le langage. Elle reste inscrite dans le corps, dans les affects, dans les réactions sans cause apparente. On ne s’en souvient pas, mais elle agit. L’écriture, dans ce cas, ne “retrouve” pas le souvenir : elle donne une forme à ce qui n’en avait pas.

      Quant aux troubles du lien ou du regard, ils désignent ces vécus d’enfance où l’enfant n’a pas été vu dans ce qu’il était. Pas forcément par malveillance — parfois par insécurité parentale, par transmission de silences, par suradaptation. Quand le regard manque, le sentiment d’exister s’effiloche. Et là aussi, l’écriture peut aider à se reconstruire comme sujet.

      Merci pour ton intérêt… je garde précieusement l’idée de développer ces pistes dans un prochain article 💛

  • Edouard Le minor

    C’est un texte qui touche juste. La manière dont l’écriture est présentée comme un pont, et non une solution imposée, m’a parlé.

  • Alexandra de artiste-peintre-pro.com

    Merci pour cet article passionnant et très subtil. J’ai beaucoup apprécié les différentes façons d’écrire que tu proposes face à l’absence de souvenirs d’enfance. Je suppose que certaines de tes propositions seraient applicables aussi en peinture. Des pistes précieuses !

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