Écrire à partir de ses lectures
Lire : un acte d’accueil, un prélude à l’écriture
On croit souvent que la lecture et l’écriture sont deux gestes séparés : lire pour comprendre, écrire pour s’exprimer.
Mais c’est une illusion.
La lecture est un acte d’ouverture : on s’offre au texte d’un autre comme on se confierait à une présence silencieuse.
On se laisse traverser.
Et dans cette traversée, quelque chose se réveille : un souvenir, une émotion, une phrase que l’on aurait pu écrire soi-même.
Lire, c’est déjà écrire un peu — dans la tête, dans le corps, dans les marges.
L’écriture, elle, n’est souvent qu’une continuation du geste de lecture : la réponse à un appel que l’on a entendu à travers les mots d’un autre.
Ce n’est pas un hasard si les grands écrivains sont d’abord des lecteurs passionnés.
Ils lisent pour se reconnaître, pour se perdre, pour se nourrir.
Ils lisent pour retrouver la vibration du monde — celle qu’ils tenteront ensuite de transcrire.
Pourquoi écrire à partir de ses lectures ?
Parce que la lecture réveille la mémoire
Chaque lecture agit comme un révélateur.
Elle vient réveiller des images enfouies, des souvenirs tenus à distance.
Une phrase anodine dans un roman peut ranimer une scène de notre enfance.
Un personnage blessé peut faire écho à une douleur que l’on croyait cicatrisée.
Lire, c’est accepter que des portes s’ouvrent.
Et écrire à partir de ses lectures, c’est franchir ces portes en conscience, transformer le surgissement en matière créative.
Parce que les livres sont des miroirs
Les livres que nous choisissons ne sont jamais innocents.
Ils parlent de nous, souvent à notre insu.
Le choix d’un roman, d’un essai, d’un poème, dit quelque chose de notre état intérieur.
On ne lit pas L’Amant de Marguerite Duras au même moment de la vie où l’on relit Le Petit Prince.
Nos lectures dessinent la cartographie mouvante de nos préoccupations du moment : ce que l’on cherche à comprendre, à apaiser, ou à nommer.
Écrire à partir de ses lectures, c’est écrire à partir de soi, mais à travers le prisme d’un autre.
Parce que cela nous relie à une lignée
Lire, c’est entrer dans une filiation invisible.
Chaque texte que nous écrivons porte en lui les voix de ceux que nous avons lus.
Écrire à partir de ses lectures, c’est reconnaître cette continuité : nous ne naissons pas écrivains, nous héritons d’une langue, d’un souffle, d’un rythme.
Lire comme un écrivain : la lecture active
Lire avec un crayon à la main
Lire activement, c’est déjà amorcer l’écriture.
Un crayon à la main, on souligne, on annote, on commente.
Chaque soulignement devient une empreinte.
Ces traces, qu’on retrouve plus tard dans la marge, sont autant de débuts possibles de textes.
Exemple de pratique Psychoplume
Après chaque lecture, note :
- une phrase qui t’a arrêté·e
- une émotion qu’elle a éveillée
- une image qu’elle t’a donnée
Ces trois éléments peuvent devenir le point de départ d’un texte : non pas un résumé du livre, mais une exploration de ce qu’il a ouvert en toi.
Lire avec le corps
On oublie trop souvent que lire, c’est une expérience sensorielle.
Certains textes accélèrent la respiration, d’autres apaisent.
Écrire à partir de ses lectures, c’est aussi écrire à partir de ces sensations :
Que ressens-tu dans ton corps quand tu lis cette phrase ?
Où se loge-t-elle ? Dans la gorge ? Dans le ventre ? Dans la poitrine ?
Ce dialogue entre corps et texte est au cœur de la pratique d’écriture consciente : la lecture n’est plus un acte intellectuel, mais une expérience vivante.
Les différents types de lectures qui nourrissent l’écriture
Les lectures de miroir
Ce sont celles qui nous ressemblent.
Elles parlent de ce que nous vivons, de ce que nous n’avons pas su dire.
Lire ces textes, c’est se sentir reconnu.
Mais l’écriture qui en découle n’est pas simple redite : elle vient approfondir la résonance.
Exemple : après avoir lu La Honte d’Annie Ernaux, écrire sur le souvenir d’une honte personnelle, mais en explorant sa texture, son langage, son empreinte corporelle.
Les lectures de décalage
Ce sont celles qui nous dérangent, nous déplacent.
Un style, une pensée, une voix étrangère.
Elles viennent ouvrir de nouvelles perspectives : elles élargissent la palette.
Écrire après ces lectures, c’est expérimenter un autre ton, un autre regard.
C’est souvent là que la créativité se déploie : dans le frottement entre ce qui nous est familier et ce qui ne l’est pas.
Les lectures de compagnonnage
Ce sont celles qui nous accompagnent dans la durée.
Des textes-refuges, qu’on relit encore et encore.
Ils ne déclenchent pas l’écriture par surprise, mais par fidélité.
Ils deviennent comme des amis silencieux, témoins de nos évolutions.
Chaque relecture en révèle un autre visage.
Écrire à partir d’une phrase, d’une image ou d’une émotion
Écrire à partir de ses lectures, ce n’est pas réécrire le livre.
C’est laisser une phrase, une image, un détail, devenir le tremplin d’un autre récit.
Jean Giono – Que ma joie demeure
« Ce que j’aime, c’est la vie, mais la vie qui brûle. »
→ Et moi, qu’est-ce qui me fait brûler encore ? Qu’est-ce que j’ai laissé s’éteindre sans le vouloir ?
Cette simple bascule — de la phrase de l’autre à la question pour soi — transforme la lecture en écriture thérapeutique, introspective, symbolique.
Tu peux aussi t’inspirer d’une atmosphère.
Par exemple, après avoir lu L’étranger de Camus, tu pourrais écrire une scène de silence, de chaleur, de désaccord avec le monde.
Ce qui compte, ce n’est pas le thème, mais le ressenti.
Lire pour mieux se relire
Nos lectures dessinent un autoportrait mouvant.
Ce qu’on lit dit quelque chose de ce qu’on cherche à comprendre en soi.
Il est précieux de tenir un journal de lecture — non pas pour résumer les livres, mais pour noter ce qu’ils ont déclenché.
Un tel journal devient un miroir.
Tu y verras les cycles de tes préoccupations : le deuil, la mémoire, la liberté, la solitude, l’amour.
Tu verras aussi comment ta voix évolue à travers ce que tu lis.
Lire pour se relire, c’est accepter de reconnaître les influences : chaque auteur est une part de nous, une résonance qu’on a accueillie.
Écrire après avoir lu : un acte de transformation
Quand on écrit après avoir lu, on passe du rôle de récepteur à celui de créateur.
C’est un geste de transformation : ce que j’ai reçu, je le transforme.
Ce qui m’a touché devient forme.
Il ne s’agit pas d’imiter un style, mais d’écouter ce que le texte a fait bouger en soi.
Lire et écrire : une dynamique clinique
L’écriture à partir des lectures n’est pas seulement esthétique ; elle a aussi une dimension psychique.
Elle permet de se réapproprier des émotions déplacées, de relier des fragments de soi.
La lecture touche là où quelque chose résonne : une faille, une attente, un manque.
L’écriture, ensuite, permet d’élaborer cette résonance.
Elle dépose, symbolise, transforme.
Dans les ateliers Psychoplume, cette dynamique est constante : on ne travaille pas « sur » le texte lu, mais à partir de ce qu’il provoque.
C’est la différence entre l’analyse et la création.
Entre le commentaire et la traversée.
Comment pratiquer ? Trois chemins possibles
Le carnet de lecture créatif
Après chaque lecture, écris une page libre :
- Ce que tu ressens
- Ce que le livre t’a rappelé
- Ce que tu aimerais répondre à l’auteur
Cette pratique simple t’aide à maintenir un dialogue vivant avec tes lectures.
Ce carnet devient un réservoir de fragments à retravailler plus tard.
La lettre à l’auteur
Une forme puissante consiste à écrire une lettre à l’auteur ou au personnage du livre.
Cela permet de sortir du rôle de lecteur passif.
Tu peux y exprimer ton accord, ton désaccord, ton émotion, ta gratitude.
Souvent, ces lettres glissent vers autre chose : une lettre à soi, à un proche, à une part oubliée de ton histoire.
Le collage de phrases
Rassemble plusieurs phrases extraites de livres que tu as lus récemment.
Laisse-les dialoguer entre elles.
Puis, écris entre les lignes : ta propre voix, ton propre fil.
Ce collage devient une constellation de résonances — une sorte de poème intime à plusieurs voix.
L’écriture comme prolongement de la lecture
Lire, c’est recevoir un monde.
Écrire, c’est le prolonger.
Les deux gestes s’appellent l’un l’autre :
le premier nourrit, le second transforme.
Et ce va-et-vient permanent devient une respiration intérieure, un équilibre entre accueil et expression.
Tu lis un auteur, il t’éclaire.
Tu écris, et tu découvres que tu parles aussi à d’autres.
La boucle est bouclée.
Consigne d’écriture Psychoplume
Choisis un livre qui t’a marqué récemment.
Recopie une phrase que tu as soulignée.
Puis, écris librement à partir de cette phrase :
- Qu’est-ce qu’elle réveille en toi ?
- Quelle image, quel souvenir, quelle émotion surgit ?
- Si tu devais répondre à cette phrase, que dirais-tu ?
Ne cherche pas à parler du livre.
Parle de ce qu’il a réveillé.
Conclusion : Quand la lecture devient passage
Écrire à partir de ses lectures, c’est reconnaître que les mots voyagent.
Qu’ils passent d’un corps à l’autre, d’une histoire à l’autre, d’un temps à l’autre.
Chaque lecteur devient porteur d’un peu de la voix de l’auteur.
Et dans ce transfert, il se passe quelque chose de rare :
on n’est plus seulement celui qui reçoit,
on devient celui qui prolonge.
Lire, c’est se laisser toucher.
Écrire, c’est répondre.
Et dans cette correspondance silencieuse entre deux âmes séparées par les pages,
se tisse la plus belle des continuités :
celle de l’humanité parlante.
Et toi, quelle lecture t’a un jour bouleversé·e au point de te donner envie d’écrire ?
Partage-le dans les commentaires ou garde-le pour toi.
Mais n’oublie pas : les phrases qui nous marquent ne disparaissent jamais — elles attendent seulement d’être prolongées par nos mots.
En savoir plus sur Psycho-Plume
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Un commentaire
Flore du Web
Merci pour ce bel article. Evidemment, on sent que tu aimes écrire (et lire :p) et ça se voit ! De mon côté, j’ai un souci de concentration depuis toute petite. Pour moi la lecture a toujours été compliqué. Pourtant, j’étais entourée de grands lecteurs qui n’ont eu cesse que de vouloir m’ouvrir à ce merveilleux monde. Je ne réussis alors que rarement à finir un ouvrage. Pourtant, des histoires m’ont marquées. Mais pour moi, c’est toujours un exploit que de finir un livre. Encore plus aujourd’hui alors qu’on est martelé de plaisirs instantanés, qui s’éffacent de nos souvenirs. J’essaye alors de me construire un monde plus lent pour justement apaiser mes pensées qui vont dans tous les sens.
Alors, oui, j’aimerai pouvoir me poser et lire, me laisser embarquer dans une histoire sans que celle-ci m’embarque directement dans mon imagination pour en inventer une autre. Mais je crois finalement que malgré cela, j’apprécie les univers imaginaires, sans passer par la case lecture. Merci pour ce petit endroit qui a permis de m’exprimer 😉