
Quand écrire apaise… et quand écrire réactive : comprendre pourquoi l’écriture thérapeutique ne fait pas toujours du bien
Il arrive souvent que des personnes attirées par l’écriture hésitent longtemps avant de s’y engager réellement, non par manque de désir ou de curiosité, mais parce qu’elles portent en elles une inquiétude diffuse, parfois très précise : la peur que l’écriture thérapeutique ne les déborde, ne les fragilise, ou ne réactive des émotions trop intenses.
Cette crainte est rarement formulée de manière frontale.
Elle apparaît plutôt sous la forme de phrases comme :
« J’ai déjà essayé d’écrire, mais ça m’a fait plus de mal que de bien. »
ou
« J’ai peur d’ouvrir quelque chose que je ne saurai pas refermer. »
Dans un paysage où l’on affirme souvent que l’écriture fait toujours du bien, ces expériences peuvent faire naître un sentiment de décalage, voire de culpabilité.
Si écrire est censé apaiser, pourquoi cela remue-t-il parfois autant ?
👉 Est-ce normal que l’écriture thérapeutique fasse parfois plus de mal que de bien ?
👉 Pourquoi écrire peut-il apaiser… ou au contraire réactiver ?
Ces questions sont centrales. Elles méritent d’être abordées avec nuance, sans promesse excessive, et surtout sans disqualifier l’expérience vécue des personnes pour qui écrire n’a pas toujours été apaisant.
L’écriture thérapeutique n’est pas un outil neutre
On présente souvent l’écriture comme une activité essentiellement intellectuelle : réfléchir, analyser, raconter, organiser ses pensées.
Or, écrire engage bien plus que la pensée.
Écrire mobilise la mémoire, les émotions, le corps, parfois même des expériences anciennes qui n’ont jamais été pleinement mises en mots.
Les mots ne font pas que décrire : ils activent, ils relient, ils donnent forme à des vécus parfois encore peu symbolisés.
C’est précisément pour cette raison que l’écriture peut être profondément soutenante.
Mais c’est aussi pour cette raison qu’elle peut, dans certaines conditions, devenir réactivante.
Quand écrire apaise : les conditions d’une écriture régulatrice
L’écriture apaise lorsqu’elle s’inscrit dans certaines conditions psychiques, parfois implicites, parfois très concrètes.
Un rythme qui soutient le corps

Écrire impose un ralentissement.
Chercher les mots, laisser la phrase se construire, suivre le fil d’une pensée oblige à quitter la précipitation intérieure.
Ce ralentissement n’est pas seulement mental.
Il agit sur le corps, sur la respiration, sur le système nerveux.
Pour beaucoup de personnes, écrire permet de retrouver une continuité là où tout semblait fragmenté.
Une distance suffisante avec l’émotion
L’écriture apaise lorsqu’elle permet de regarder l’émotion plutôt que de s’y fondre complètement.
Il ne s’agit pas d’éviter ce qui fait mal, mais de l’approcher à une distance psychiquement soutenable.
Cette distance peut être :
- temporelle (écrire après coup),
- narrative (changer de point de vue),
- ou simplement soutenue par un cadre clair.
La mise en forme comme premier apaisement
Mettre en mots, c’est transformer une expérience souvent confuse en quelque chose de plus organisé.
Même lorsque le texte reste imparfait, cette mise en forme constitue déjà une première élaboration.
Dans ces conditions, écrire peut réellement apaiser.
Quand écrire réactive : comprendre pourquoi l’écriture peut faire mal
À l’inverse, certaines expériences d’écriture laissent une impression d’agitation, d’épuisement émotionnel, voire de débordement intérieur.
Cela ne signifie ni que la personne a mal écrit, ni qu’elle est trop fragile.
Cela signifie simplement que l’écriture a été engagée sans suffisamment de contenance.
Une immersion émotionnelle trop directe
Lorsque l’écriture replonge directement dans l’événement ou l’émotion brute, sans médiation, elle peut réactiver l’expérience au lieu de la transformer.
Le corps réagit alors comme si la scène se rejouait.
L’absence de cadre
Écrire sans limites de temps, sans point de sortie, sans orientation peut donner l’impression d’ouvrir quelque chose sans pouvoir ensuite le refermer.
L’écriture devient envahissante, au lieu d’être contenante.
La répétition sans déplacement
Certaines personnes écrivent beaucoup, parfois depuis des années, mais sentent que leurs textes reviennent toujours au même endroit.
La répétition peut soulager temporairement, mais lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’un déplacement symbolique, elle peut renforcer la rumination.
La fenêtre de tolérance émotionnelle : une clé essentielle
Il existe une zone dans laquelle l’émotion peut être mobilisée sans devenir débordante.
Dans cette zone, l’écriture soutient, transforme, apaise.
En dehors de cette zone, elle peut soit anesthésier, soit submerger.
Écrire juste, ce n’est pas écrire plus intensément.
C’est écrire à la bonne distance, au bon moment, avec un cadre suffisant.

Peur d’écrire : un signal de protection, pas une résistance
La peur que l’écriture réactive quelque chose n’est pas un obstacle à dépasser.
C’est souvent une intuition juste : quelque chose, à l’intérieur, sait que sans cadre, l’écriture pourrait être trop.
Reconnaître cette peur, c’est déjà poser un premier acte de protection psychique.
Il ne s’agit pas d’éviter l’écriture.
Il s’agit d’éviter une certaine manière d’écrire, à un certain moment.
Le rôle du cadre dans l’écriture thérapeutique
Ce qui distingue une écriture apaisante d’une écriture réactivante tient rarement au sujet lui-même.
Cela tient presque toujours au cadre.
Un cadre peut être simple :
- une durée définie,
- une consigne claire,
- une fin posée,
- une progression pensée.
Le cadre ne bride pas l’écriture.
Il la protège.
Introduire de la distance dans l’écriture : quelques repères simples
Parfois, ce n’est pas le sujet qui est trop difficile, mais la place depuis laquelle on écrit.
Déplacer légèrement cette place — passer du je au il, écrire depuis un objet, un animal, un regard extérieur — suffit souvent à rendre l’expérience plus soutenable.
L’émotion n’est pas niée ; elle est simplement approchée autrement.Lorsque l’écriture tend à réactiver trop fortement l’émotion, il n’est pas nécessaire d’arrêter d’écrire.
Il peut être plus juste de modifier légèrement la posture d’écriture, afin de réintroduire une distance suffisante entre ce qui est vécu et ce qui est mis en mots.
Cette distance ne passe pas par un contrôle intellectuel, mais par de petits déplacements formels, souvent très efficaces sur le plan psychique.
Par exemple, écrire à la troisième personne plutôt qu’à la première permet déjà de ne plus être entièrement confondue avec ce qui est raconté.
Passer du je au il ou elle n’efface pas l’émotion, mais la rend plus regardable, moins envahissante.
D’autres personnes trouvent un appui dans le fait d’écrire depuis un point de vue décalé :
un objet de la scène, un animal, un lieu, ou même un élément non humain.
Ce déplacement du regard permet que quelque chose se dise autrement, sans replonger directement dans l’intensité du vécu.
Il est également possible d’écrire comme si l’on observait, plutôt que comme si l’on revivait.
Décrire les gestes, l’atmosphère, les détails périphériques, plutôt que l’émotion elle-même, peut suffire à créer une contenance.
Ces ajustements peuvent sembler mineurs, presque formels.
Ils ont pourtant un effet réel : ils transforment l’écriture en espace de régulation, plutôt qu’en lieu d’immersion brute.
Introduire de la distance ne signifie pas éviter ce qui est important.
Cela signifie prendre soin de la manière dont on s’en approche.
Écrire seule ou être accompagnée : ce qui fait réellement la différence
Écrire seule n’est pas dangereux en soi.
Pour beaucoup, c’est même le premier espace sûr où déposer ce qui n’a jamais pu l’être ailleurs.
Ce qui fragilise, ce n’est pas la solitude de l’écriture, mais l’absence de repères.
À certains moments, cependant, un besoin peut émerger : celui de ne plus rester seule avec ce qui s’écrit.
L’accompagnement ne vient alors pas diriger l’écriture, mais soutenir la régulation, contenir ce qui émerge, et permettre un déplacement psychique sans débordement.
Retrouver confiance dans l’écriture thérapeutique
Comprendre que l’écriture peut à la fois apaiser et réactiver transforme profondément le rapport que l’on entretient avec elle.
La peur devient un signal.
Le cadre devient un appui.
Il devient alors possible de renouer avec une écriture plus douce, plus respectueuse de son rythme, sans forcer ni éviter.
En conclusion
L’écriture thérapeutique engage la mémoire, l’émotion, le corps.
Lorsqu’elle est engagée à la bonne distance, avec un cadre suffisant, elle peut devenir un puissant appui d’apaisement et de transformation.
Lorsqu’elle est engagée sans repères, trop près de l’émotion brute, elle peut réactiver ce qui n’est pas encore prêt à être traversé seul.
Comprendre cette nuance permet souvent de lever une peur ancienne et de redonner à l’écriture sa juste place : ni dangereuse, ni miraculeuse, mais profondément humaine.
FAQ – Écriture thérapeutique et émotions
L’écriture thérapeutique peut-elle être dangereuse ?
Non. Elle peut cependant devenir réactivante lorsqu’elle est pratiquée sans cadre, trop près de l’émotion brute ou sans soutien suffisant.
Est-ce normal que l’écriture fasse pleurer ou angoisse ?
Oui. Écrire mobilise la mémoire émotionnelle. Ces réactions indiquent qu’un ajustement du cadre est nécessaire.
Faut-il arrêter d’écrire quand ça remue trop ?
Pas nécessairement. Il est souvent plus juste de ralentir, de renforcer le cadre ou de modifier la manière d’écrire.
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2 commentaires
Denis (Académie de la Chanson)
J’avoue avoir été troublé par ton article… je n’avais jamais envisagé que l’écriture thérapeutique pouvait réactiver un traumatisme. Il faut donc, an amont, savoir où placer la limite de l’engagement, régler la longueur de la longe.
Sans doute faut-il aussi connaître un peu sa propre personnalité : certaines personnes, parle fait du bien, pour d’autres, cela relance des difficultés enfouies.
Une nouvelle fois, ton approche m’a passionné (mais pour une fois, un peu inquiété aussi!).
Olivia
Merci beaucoup pour ton retour, et pour la manière dont tu nommes ce trouble, sans chercher à le neutraliser trop vite.
Ce que tu écris est très juste : il ne s’agit pas tant de “faire” ou de “ne pas faire”, mais de savoir jusqu’où s’engager, à quel endroit poser une limite, et surtout de reconnaître que cette limite n’est ni la même pour tout le monde, ni stable dans le temps.
L’image de la longe est très parlante.
L’écriture thérapeutique gagne à être pensée comme cela : non pas comme un lâcher total, mais comme un mouvement tenu, ajusté, où l’on reste relié à soi pendant que l’on explore.
Tu mets aussi le doigt sur un point essentiel : ce qui apaise certains peut, chez d’autres, réactiver des zones encore sensibles.
Ce n’est pas une question de fragilité ou de solidité psychique, mais de configuration singulière, d’histoire, de moment de vie.
Si l’article a un peu inquiété, alors il a peut-être aussi rempli une de ses fonctions :
ouvrir un espace de réflexion là où l’on croyait l’écriture forcément inoffensive, et permettre d’y entrer avec plus de discernement, sans renoncer pour autant.
Merci d’avoir pris le temps de partager cette lecture, et ce qu’elle a mis en mouvement.